mercredi 26 juin 2013

L'architecture de l'information omniprésente: pour une théorie post moderne du document

 "Le cyberespace n'est pas un lieu où l'on va, mais plutôt une surface étroitement intégrée au monde qui nous entoure" Institute For The Future

Andrea Resmini et Luca Rosati ont publié en 2011 un livre sur l'architecture de l'information omniprésente (''Pervasive Information Architecture''). C'est un ouvrage que je vais chercher à lire en vitesse, car cela me semble une clé de décryptage pour comprendre le nouveau rôle du "document" dans les sociétés contemporaines de l'information et, j'ajouterais, dans les sociétés consommatrices d'information. La nouvelle modernité du document est, d'ailleurs, la thèse développée depuis plusieurs années par le collectif de chercheurs Pédauque. En bref, quelques jalons pour comprendre les enjeux:

 Users experience et information omniprésente


L'idée principale de cet ouvrage est que la conception de nos rapports aux nouveaux médias de l'information (le numérique particulièrement) reste encore très statique et, d'une certaine façon, abstraite et unilatérale. Les médias sont, certes, le médium physique de l'information mais les individus en tant qu'êtres sociaux ne sont nullement des réceptacles neutres et passifs de l'information. Au contraire, pour les auteurs, il importe de comprendre ce rapport d'après la notion de "users experiences", que je traduirais, pour faire écho au courant de la pensée philosophique de la phénoménologie (qui me semble très proche à cette nouvelle conception de l'information) comme "l'expérience vécue de l'usager" faisant partie d'un écosystème informationnel. 
Concrètement cella veut dire que, si d'un côté l'information quitte le plan purement technologique du support du média pour investir les situations vécues quotidiennes, de l'autre, nos actions dans le monde seront également façonnées par la dimension heuristique et serendipique de la navigation informationnelle. Plus concrètement encore : tout cela se passe dans un espace physique réel mais multivirtuel où les êtres circulent et interagissent, passant d'un média à l'autre, d'un espace à l'autre et d'une tâche à l'autre dans un système qui se transforme au fur et à mesure de ces actions (en engendrant de nouvelles...).

 C'est dans cette perspective que les auteurs proposent un Manifeste qui résume les principales thèses du livre,

1. Les architectures d'information deviennent des écosystèmes [...]
2. Les utilisateurs deviennent des intermédiaires [...]
3. Le statique devient dynamique [...]
4. Le dynamique devient hybride [...]
5. L'horizontal l'emporte sur le vertical [...]
6. Le design de produit devient le design d'expérience [...]
7. Les expériences deviennent transmédias [...] (Traduit de l'original par Jean-Michel Salaün)

et  une représentation graphique de cet espace informationnel où la notion d' "architecture" y prend son sens et qui est également le logo du nouveau master ouvert cette année à l'Université de Perugia (Italie) "Architecture de l'information" dont les objectifs sont très éclairants de l'orientation décrite.

 "Information is going everywhere, bleeding out of we thought was cyberspace and back into the real world [...] Computation is everywhere, and so are search and interaction. It's time to move beyond the computer screen to design information space in these new ubiquitous ecologies." (''Pervasive Information Architecture'')

 Et le document dans tout ça?


Jean-Michel Salaün souligne la proximité de l'orientation menée par les chercheurs, auteurs de l'ouvrage cité, à la conception de la nouvelle modernité du document, telle qu'imaginée par le collectif Pédauque:
"Il s'agit d'une représentation en architecture de l'information de la navigation informationnelle : celle du métro (à ne pas confondre avec l'interface de Windows 8) où les stations représentent les unités documentaires et les lignes les parcours possibles ou encore la construction du sens. J'ai repris ces éléments pour souligner la forte parenté entre les propositions des deux auteurs et les réflexions menées dans le groupe Pédauque sur l'évolution du document (voir ici ou ). Il suffit de remplacer "architecture de l'information" par "document" ou mieux par "néodocument" dans le manifeste pour retrouver des formulations quasi-identiques. Dès lors, on peut pousser le parallèle et montrer que les notions "d'expérience-utilisateur" et de "contrat de lecture/écriture" sont interchangeables ou encore que la carte du métro est une visualisation de ce contrat, tout comme le sont le codex et les règles typographiques pour le livre. Ainsi, Il y a de fortes fertilisations croisées à attendre entre les deux mouvements."
 Il est necessaire de rappeler qu'un Master "Architecture de l'Information" existe depuis la rentrée 2012, à l'ENS de Lyon. On défine, ainsi, les compétences attendues d'un architecte de l'information:
"Il est aujourd’hui indispensable, pour des sites web riches en contenus, des sites de grandes institutions, à but lucratif ou non, pour leurs besoins internes comme leur communication externe, de faire appel à des spécialistes de l’organisation et du repérage de l’information, de même qu’à des spécialistes de l’expérience utilisateur. Ces deux domaines d’expertise convergent vers un même objectif : garantir un accès intuitif et facile au contenu, pour l’utilisateur d’une ressource web (ou, plus généralement, de tout système d’information). 

On appelle les professionnels détenant ces expertises des Architectes de l’Information."
Pour ceux qui seraient intéressés à creuser plus loin cette question assez cruciale pour les documentalistes, gestionnaires de l'information et encore une dizaine d'intitulés qui nous serons obligés de décrypter avant d'embrasser (et bientôt "architectes de l'information"?), voici quelques lectures:

- Pourquoi le document importe, par Jean-Michel Salaün, professeur à l’École normale supérieure de Lyon,  [mis en ligne en juin 2012, consulté le 23 juin 2013]

- Documents et modernités, par Roger T. Pédauque. Archivesic, mars 2006.

- Master "Architecture de l'Information", Università per Stranieri di Perugia [consulté le 12 juillet 2013]

 - Pervasive Information Architecture: Designing Cross-Channel User Experiences par Andrea Resmini et Luca Rosati. Morgan Kauffman: avril 2011.[consulté le 12 juillet 2013]
 - Habert Benoit, Salaün Jean-Michel, Magué Jean-Philippe, « Architecte de l'information : un métier »Documentaliste - Sciences de l'information, vol 49, n1 2012, p.4-5Feyfant Annie (2012). « Architecture de l’information, architecture des connaissances ». Dossier d’actualité Veille et Analyses, n°74, avril.




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