mercredi 17 décembre 2014

Ecrira bien qui écrira le dernier

Dans “Le monde en lecture seule. A propos de la disparition de l'écriture manuscrite”[1], Olivier Ertzscheid,maître de conférences en sciences de l'information, réagissait de manière polémique sur un article des Clés de demain du Monde [2], traduisant une première annonce sur le site de la BBC [3] : La  suppression en Finlande de l'apprentissage de l'écriture manuscrite pour la remplacer par l'apprentissage au clavier.

L’auteur développe son argumentation en faveur de l’importance éducative de l’écriture manuscrite, en examinant différentes questions :
La question du remplacement de l'un par l'autre. Les usages actuels ont déjà tranché : quel est notre réel besoin quotidien de l'écriture manuscrite et quel en est la hiérarchie d'usage aujourd’hui ?
La question cognitive : l'apprentissage de l'écriture manuscrite ne se limite pas à l'apprentissage d'un code graphique. C'est aussi acquérir et définir une plasticité neuronale par un exercice de motricité fine, de contrôle postural, comme en témoigne les travaux de Stanislas Dehaene sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.[4]
La question de la liberté, de l'aliénation, du choix, de la proprioception de l'individu : chacun a son écriture.
La question de la singularité : l'écriture est un marqueur de singularité, comme le sont nos empreintes digitales, notre empreinte rétinienne, ou notre ADN.

Par bien des aspects, le numérique est un gain car il nous offre l'accès à de l'universel. Mais ce n'est pas le numérique qui met en danger l'écriture manuscrite. Ce sont des décisions politiques qui décrètent une forme de lobotomie collective et assumée, à l'échelle de générations entières. Nul ne doit faire l'économie du temps nécessaire à l'analyse des telles conséquences induites.

Une étude de l’Institut de Neurosciences Cognitives de la Méditerranée (CNRS UMR 6193) sur l’écrit face aux nouvelles technologies : “De la plume au clavier :Est-il toujours utile d’enseigner l’écriture manuscrite ?” par Velay, Longcamp et Zerbato-Poudou, voudrait nous garder d’une vision trop lénifiante des évolutions trop radicales sur la question des enseignements :
“S’il devenait systématique pour apprendre à écrire, quelles conséquences aurait l’usage du clavier en changeant la relation entre le mouvement et la trace produite ? Une étude d’imagerie cérébrale chez l’adulte montre qu’une zone corticale pré-motrice, activée pendant l’écriture, est aussi activée pendant la simple observation des lettres. La lecture mettrait automatiquement en jeu une forme d’écriture interne. Dans une étude à l’école maternelle, nous avons comparé l’apprentissage traditionnel de la lecture/écriture et l’apprentissage avec un clavier. Les enfants ayant appris à la main reconnaissaient mieux les lettres que ceux qui avaient appris au clavier. Parce que nous apprenons simultanément à lire et à former les lettres en les traçant, nos aptitudes à la lecture pourraient en partie dépendre de notre manière d’écrire.” [5]

Perdre la possibilité d'un recours permanent, instantané, immédiat à la fonction d'écrire en dehors du numérique, c'est accepter de n'avoir plus accès au monde qu'en lecture seule. Renoncer à apprendre l'écriture manuscrite c'est rendre tout décodage impossible, c'est s'amputer délibérément de la possibilité de maîtriser un code et la possibilité de passer d'un code à un autre. C'est laisser d'indéchiffrables codes régler nos vies.

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http://www.creavapeur.com/2010/polices-font-manuscrite/ - libre de droit

Le monde en lecture seule. A propos de la disparition de l'écriture manuscrite.
21 November 2014 : Finland: Typing takes over as handwriting lessons end
   
Les Clés De Demain / Le Monde : La Finlande va arrêter l'enseignement de l'écriture cursive, 25 novembre 2014    

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